I am a Tourist

Comment Berlin me fascine et pourrait aussi gâcher ma vie

Tandis qu’on apprécie enfin les douces températures estivales à Berlin, je tombais sur un article très touchant d’une journaliste chez Deutsche Welle, ancienne habitante de Berlin, qui m’a vraiment inspiré. Si depuis deux ans, je me posais mille questions sur ma vie berlinoise en me persuadant que je cogitais inutilement, cet article qui reflète une grosse partie de mes pensées et probablement celles de mon entourage berlinois, a eu au moins le mérite de me faire un peu peur et me remettre en question.

Pour résumer brièvement le contexte, la journaliste Anne-Sophie Brändlin expliquait comment le fait de vivre à Berlin pourrait ruiner notre vie si on habitait ailleurs.

« Berlin est similaire à une histoire d’amour passionnante. Lorsqu’on est avec elle, la ville nous gâte avec tout ce qu’elle peut nous offrir, mais la rupture peut prendre une éternité pour s’en remettre.»

Lorsque j’ai commencé mon Master à Mulhouse, je me demandais, si je n’étais pas mieux à l’étranger, vivre plusieurs années dans plusieurs villes: Phnom Penh, Saigon, Sydney ou encore d’autres villes anglophones, qui me faisaient rêver. Apparemment, la dépression post-Erasmus me touchait et je n’avais déjà qu’une hâte dans le programme du Master: effectuer le stage obligatoire à l’étranger.

J’avais cependant le cul entre deux chaises: suivre égoïstement mes envies de vivre à l’étranger en laissant tomber ce que j’avais à Mulhouse (y compris sacrifier une relation durable) ou faire ce stage dans le but d’en finir avec mes études et commencer à vivre comme une adulte. Il y a eu ce stage à Berlin qui a été le tremplin de ma vie professionnelle, même si c’était soudain. J’étais supposée y rester 5 mois. Au bout de 2 mois, je me sentais coupable de m’attacher à cette ville : des liens se sont créés, des endroits me sont déjà familiers, de nouvelles habitudes ont été adoptées et j’osais même me voir y vivre à long-terme. Berlin est juste un bon endroit pour apprécier notre propre jeunesse.
Qu’en est-il de mes souhaits de vivre dans les autres pays? Je ne sais plus quoi en penser et c’est ça qui m’a dérangé en lisant l’article de Brändlin, qui habitait à Sydney, San Francisco et Amsterdam après avoir longtemps vécu dans la capitale berlinoise. Bien qu’elle ait toujours craqué sur des villes de classe mondiale, Berlin reste incomparable pour elle, malgré l’absence des plages de rêve, des palmiers, des remontées mécaniques et des maisons sur les canaux.

Qui n’a jamais apprécié siroter une bouteille de bière fraîche ou de cocktails après le boulot sur toit grungy pour profiter des couchers de soleils sur toute la ville? Que peut-on faire de mieux à part passer ses dimanches après-midis à danser au soleil dans les open-airs – alias fêtes musicales en plein air, à la BBPP accompagnées de bières pas chères et des hipsters enchantés?

Contrairement à Brändlin, je n’ai vécu que dans deux petites villes: Mulhouse et Schwenningen, où les soirées ne sont pas forcément les plus excitantes. Bien que la journaliste ait expérimenté de nombreuses vies nocturnes dans ses villes habitées, elle n’a pas su trouver où clubber comme elle aimait, ailleurs que Berlin.

Les Mulhousiens sont plus orientés musique commerciale, rap et hip-hop que le minimal électro et le genre rock à Berlin. La file d’attente à la Salle des Coffres dans la rue Sauvage de Mulhouse, est principalement occupée par des groupes de jolies minettes, rappelant ma petite sœur de 18 ans, un peu gâchées par leur apparence d’adulte, habillées en sexy short et talons aiguilles se jugeant mutuellement et gratuitement sur leurs apparences physiques, entourées de gorilles hystériques sauvagement bercés par des paroles jetant des obscénités sur notre famille.
C’est peut-être pour ça que les jeunes Mulhousiens ou venant des environs du Haut-Rhin, âgés de la vingtaine, préfèrent s’exiler au Rébus à la frontière ou sont plus enclins à rester posés boire leurs verres chez un de leurs amis, en comité privée (ce qui n’est pas fort désagréable). De mon côté, j’ai peur qu’un jour, cette liberté de sortir, afin d’apprécier les sons indie en live, me manque, si je revenais à Mulhouse. Je serais tout simplement en train de boire ma tasse de thé au jasmin, à la maison, le samedi à minuit prête à aller au lit et écouter le silence.

Berlin est souvent défini comme « The city that never sleeps », la ville qui ne dort jamais, ce qui est franchement vrai. Ici, quand on fait la fête, l’heure n’est pas vraiment un grand problème. Je suis heureuse de pouvoir m’habiller selon mes envies, sans passer trois heures à chercher ma plus belle robe, mais sans pour autant ressembler à un sac. Dans les boîtes de Berlin-Est, on s’en fiche un peu de ton style vestimentaire, les vigiles veulent s’assurer de tes capacités à faire la fête. Je pense que je ne trouverai jamais une atmosphère nocturne à la fois dynamique, créative et minimaliste, ailleurs que dans la capitale.

Après avoir vibré aux sons de Joy Division ou Depeche Mode au Magnet Club, ce que j’apprécie surtout, c’est m’asseoir au bord du Spree à 4 heures du mat’, parler de tout et de rien jusqu’au lever du soleil. Les lundis matins, tandis que les statuts Facebook de mes contacts alsaciens gentiment assis au bureau, appelaient manifestement au désespoir post-week-end, je leur compatissais, tout en récupérant moi-même, aussi des soirées festives. Le mécontentement se dissipe peu après, lorsqu’on me propose d’assister à un mini-concert, ce qui peut arriver à n’importe quel jour de la semaine.

Comme l’a évoqué la journaliste du DW, le principe « all work and no play » est inversement opéré à Berlin. Malgré les 40 heures de travail, on n’a guère l’impression de travailler et même pendant le travail, on trouve toujours une manière de jouir sa vie privée et des plans after-works. En rentrant du bureau, il m’arrive toujours de voir des parcs remplis de personnes assises sur l’herbe ou en train de traîner dans les beach bars tout au long de mon chemin. Les nouveaux arrivants à Berlin, accrocs au travail seront vite remis à leur place, appelée détente et joie de vivre.

Mauerpark Berlin 2013

Il ne faut d’ailleurs pas croire que c’est le monde parfait ici. Berlin a aussi son côté sérieux qui ne sera jamais ignoré : son mur absorbant tout ce qu’il s’est passé avant sa chute. C’est fascinant de voir une ville ayant su intégrer son histoire au paysage urbain, ainsi que la conscience collective de Berlin. Les vendredis soirs après le boulot, vous me trouverez toujours en train d’errer le long du Spree au East Side Gallery. Parfois, j’aime m’imaginer ce que c’était d’avoir mon âge à l’année de ma naissance et à quoi ressemblait l’endroit où je marche.

Les jeunes Berlinois nés dans les années 90 ne peuvent pas comprendre ce qu’il s’était passé, certes, les aînés peuvent toujours compter sur eux pour ne pas oublier ce qu’il s’était passé après la Seconde Guerre Mondiale. Mon copain berlinois soupire de voir des « Nazis-Dokus » diffusés tous les soirs à la TV, mais je pense que c’est tout simplement une manière de transmettre l’histoire aux nouvelles générations. A côté de ça, nombreux sont les jeunes à lutter contre la gentrification de la ville, afin de préserver ses patrimoines.

Parlant de sérieux, à plusieurs reprises, je me demandais ce qu’il se serait passé si je n’avais pas décidé de tout lâcher pour Berlin, trois ans avant. Je pense que j’aurais eu une très belle vie, confortable et sûre, sans jamais connaître la notion d’un vrai bonheur qui serait d’avoir bien goûté à ma liberté pré-adulte sans avoir des engagements à respecter pour une fois, pendant un court moment. Je n’ai pas hâte de décider de mon départ de Berlin. J’ai envie de rester ici. Avec lui.

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